Quentin Dupieux et les dérives d'Internet

À l’ère du numérique et de la surexposition sur les réseaux sociaux, certains comportements dérivent parfois vers des situations hors de contrôle.
Dans le nouveau film de Quentin Dupieux, L'accident de piano, on suit l’histoire de Magalie, alias Magaloche en ligne. Cette superstar d’Internet incarne le cliché de la personne prête à tout pour faire des vues, quitte à risquer sa santé, voire sa vie. Au départ, j’ai craint ce cliché et la construction de ce personnage atypique. Pourtant, Dupieux parvient à montrer que ce cliché… n’est justement qu’un cliché. Le personnage de Magalie est bien plus complexe, même si, selon moi, elle reste profondément antipathique.
L’interprétation d’Adèle Exarchopoulos dans ce rôle haut en couleur est remarquable. Elle permet au public de ressentir d’emblée une impression remplie de préjugés. Certaines scènes sont absurdes, mais d’une justesse redoutable grâce à la manière dont Adèle incarne Magalie : ses tics de langage, ses expressions faciales, sa gestuelle, notamment avec son bras dans le plâtre. À d’autres moments, on se surprend à s’attacher à elle, lorsqu’elle évoque son passé ou que l’on découvre des flashbacks de son enfance. Ce sont les seuls instants où transparaît un peu d’humanité chez Magalie, avant qu’elle ne devienne Magaloche.
Même si Magalie reste un personnage difficile à aimer, elle est loin d’être la seule. Quentin Dupieux propose ici une galerie de figures tout aussi détestables, chacune à sa manière.
La journaliste dépourvue d’éthique, incarnée par Sandrine Kiberlain, n’hésite pas à recourir au chantage pour parvenir à ses fins — alors que, petit spoiler, le sujet de son chantage aurait largement mérité un article en soi, bien plus pertinent qu’un simple portrait de célébrité.
L’assistant, interprété par Jérôme Commandeur, est tout aussi odieux. Il passe le film à se cacher derrière Magaloche et ses agissements pour justifier les siens.
Le personnage du fan, incarné par Karim Leklou, mérite aussi d’être souligné. Lui aussi est détestable, mais il ajoute une dimension inquiétante. Ce stalker qui ne connaît aucune limite et les franchit sans cesse incarne parfaitement l’une des dérives les plus alarmantes d'internet : la surmédiatisation de soi et l’illusion de proximité. Les relations parasociales que nous créons à travers nos écrans avec des personnalités qui semblent accessibles sont un des fléaux de notre époque. Même s’il est ici fortement caricaturé, ce type de comportement existe bel et bien — et doit être dénoncé.
D’ailleurs, l’Espace jeu vidéo du Quai10 propose une formation sur les dérives du numérique afin de sensibiliser les jeunes (et les moins jeunes) aux mauvaises pratiques sur Internet.
Au final, malgré la toxicité générale des personnages, le film tient en haleine jusqu’au bout. Le rythme, fidèle à l’univers de Dupieux, alterne entre absurdité et montée en tension. La première partie pose les bases, avec un univers décalé, presque anodin. Puis, soudain, tout s’emballe : on entre dans un enchaînement de scènes WTF, où les personnages deviennent de plus en plus déchaînés, voire dérangés, jusqu’au climax. Ce qui rend ce rythme encore plus saisissant, c’est le contraste avec le décor — calme, presque neutre, qui ne participe pas à l’action mais accentue par contraste la folie ambiante.
Alix
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