L'(in)expression par l'art

C'est une vérité universelle : l'art est un moyen d'expression sujet à interprétation, quelle que soit sa sensibilité du moment ou sa personnalité. Avec Sentimental Value, Joachim Trier pousse la réflexion au cœur des relations de ses personnages, incapables de communiquer autrement qu'à travers un scénario ou un pièce de théâtre avec plus ou moins de réussite. Le film nous montre que si l'art peut servir de pont entre les âmes, il peut aussi, de manière ironique, devenir un mur d'incompréhension.
gallery
Un message caché sous la surface
Cette dualité, l'histoire de l'art la connaît bien. Le chef-d'œuvre Perfect Day de Lou Reed, à l'apparence d'une ode à une journée entre amoureux, recèle un message plus sombre et intime sur l'addiction, pour qui sait décoder ses sous-entendus.

Vous devez accepter les cookies fonctionnels pour regarder cette vidéo. Changer les paramètres
De même, la peinture baroque nous a offert le genre des "Vanités", ces natures mortes qui dissimulent sous leur surface, par l'entremise de symboles comme le crâne ou la bougie éteinte, un rappel poignant de la fugacité de la vie et de la futilité des plaisirs terrestres. Comme ces œuvres qui cachent leur véritable intention, les sentiments dans le film de Trier ne s'expriment jamais de front ; ils sont masqués, codés, et souvent perdus dans la traduction qu'ils nécessitent.

Lost in communication
Cette incapacité à communiquer trouve son incarnation la plus forte dans la figure de Gustav, le personnage interprété par Stellan Skarsgård. Réalisateur de cinéma, il ne peut parler à ses filles qu'à travers son art. Au lieu d'une conversation, il propose un scénario à Nora, sa fille incarné par la non moins émouvante Renate Reinsve y glissant un cri du cœur pour tenter de se reconnecter. Mais le message ne passe pas. Nora ne perçoit pas cette main tendue et y voit un simple rôle qu'elle refuse. Plus tard, elle espère que sa propre pièce de théâtre sera un pont entre eux, mais Gustav ne se présente pas à la première, car il pense qu'elle ne souhaite pas sa présence. Leurs langages artistiques, aussi profonds soient-ils, créent un fossé. Ce malaise se reflète également dans le personnage de Rachel, interprétée par Elle Fanning, une actrice profondément émue par un des films de Gustav, mais qui se retire de son nouveau projet, car elle ne parvient pas à s'approprier un rôle qu'elle ne comprend finalement pas.

Vous devez accepter les cookies fonctionnels pour regarder cette vidéo. Changer les paramètres
Le plan-séquence, métaphore de la vie
Dans cette même démarche qui lie message frontal et message subliminal, le réalisateur Joachim Trier tente de nous parler à travers sa caméra. Sa mise en scène révèle un grand sens du détail : filmer depuis une embrasure de porte pour créer un sentiment d'intimité volée ou suivre l'évolution d'une maison sur des décennies pour en faire la gardienne silencieuse des souvenirs.
Mais le geste le plus marquant, et qui communique l'essence même du film, est l'utilisation d'un plan-séquence, extrait d'un film de Gustav dans le récit, qui montre son autre jeune fille, Agnes, tenir un rôle dans une scène dramatique. Ce plan magnifique, par son absence de montage, nous offre une vérité simple et brute, un sentiment de temps qui s’écoule. Il entre en parfaite résonance avec le plan-séquence final, où l’on retrouve l'autre fille de Gustav, Nora. Les deux plans, miroirs l'un de l'autre, dialoguent à travers les décennies et les deux sœurs, faisant du plan-séquence la métaphore la plus éloquente de la relation de Gustav avec ses filles. Ce sont des vies qui se déroulent sans coupes, avec leurs angles morts et leurs rebondissements, mais qui sont liées par le fil invisible et magnifique du cinéma.
Sébastien
Responsable de la communication