S'attaquer à la figure de l'un des plus grands criminels de guerre du XXe siècle, qui plus est un homme ayant échappé à la justice jusqu'à son dernier souffle, relevait de l'exercice périlleux. Avec La Disparition de Josef Mengele, le réalisateur Kirill Serebrennikov réussit ce pari risqué, livrant un biopic fictionnel d'une complexité morale rare.

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Une distance maîtrisée, un portrait sans concession

Dès les premières images, Serebrennikov maintient une juste distance avec son sujet. Il ne cherche jamais à humaniser l'« Ange de la Mort ». Au contraire, il le dépeint avant tout comme un lâche, pleinement convaincu de ses idées et des ses actes abominables, mais n'hésitant pas à les renier dès que la menace de la justice se rapproche.

Le génie du cinéaste russe réside dans cette approche : à aucun moment nous ne ressentons la moindre empathie envers cet homme pathétique. Si Serebrennikov nous bouscule parfois dans cette certitude, ce n'est que pour mieux nous y conforter dans la seconde qui suit. Ce constant questionnement éthique, loin de nuire à l'immersion, force la spectateur·rice à une recontextualisation permanente. C'est un procédé brillant qui place la réflexion au cœur de l'expérience cinématographique.

Films

  • La Disparition de Josef Mengele

    Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Josef Mengele, le médecin nazi du camp d’Auschwitz, parvient à s’enfuir en Amérique du Sud pour refaire sa vie dans la clandestinité. De Buenos Aires au Paraguay, en passant par le Brésil,…

    Genre
    Drame
    Durée
    2H15
    La disparition de josef mengele

Une forme visuelle éblouissante au service de l'horreur

Si le fond est glaçant, la forme, elle, est magnifique. L'esthétique du film est portée par un noir et blanc sublime qui confère une atemporalité terrifiante à l'errance du criminel. La caméra, en léger mouvement, est toujours placée avec une précision clinique, avec un montage au cordeau.

Un segment, en particulier, m'a particulièrement marqué : une séquence très dérangeante filmée en Super 8, un format cinématographique lancé par Kodak dans les années 60 et devenu très populaires auprès des cinéastes en herbe. À la limite du soutenable par son contenu, elle est appuyée par l'interprétation d'une cantatrice et de son orchestre. Le contraste entre la beauté formelle et l'horreur des images crée une tension inoubliable. Il est paradoxal de le dire vu la gravité du sujet, mais cette maîtrise formelle est simplement magnifique.

Serebrennikov face à l'incarnation du Mal

Parlons peut-être un petit peu du réalisateur Kirill Serebrennikov. C'est un cinéaste dissident habitué à travailler malgré les contraintes, notamment l'assignation à résidence pour ses précédents films (Leto, La Fièvre de Petrov), a abordé ce projet avec une profonde gravité.

Il a expliqué en interview qu'il était essentiel de comprendre l'état d'esprit de Mengele, non pas pour l'excuser, mais pour décortiquer l'esprit d'un nazi jusqu'au bout. Le réalisateur a choisi d'adopter le point de vue du bourreau, sans aucune compassion, pour révéler la nature de celui qui est devenu l'incarnation du Mal absolu.

Le choix de l'acteur August Diehl pour incarner Mengele était également crucial. Diehl, habitué aux rôles intenses (on l'a vu dans les bottes d'un Major SS dans Inglorious Basterds de Quentin Tarantino) et capable d'une transformation physique et psychologique, a dû trouver l'équilibre pour jouer l'homme derrière le monstre sans jamais le rendre sympathique. Le cinéaste a insisté sur l'importance de dépeindre un être humain qui devient le Mal, plutôt qu'un mythe maléfique, ce qui a visiblement demandé un travail très intense sur le plateau.

Sébastien

Responsable de la communication